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"Barre-toi de ce pays tant qu'il en est encore temps": en se lançant dans un projet immobilier au Texas pour sa communauté musulmane, Imran Chaudhary ne s'attendait pas à une telle hostilité, comme ce message reçu jusqu'à l'enquête menée par les autorités locales.
Dans cet Etat américain du sud dirigé par des conservateurs proches de Donald Trump, le plan de construction près de Dallas d'un complexe comprenant un millier de logements, une école, un hôpital, une maison de retraite et, surtout, une mosquée, n'est pas passé inaperçu.
"Pour être clair, la charia (la loi islamique) n'est pas autorisée au Texas", a lancé sur X le gouverneur républicain du Texas Greg Abbott, connu pour ses initiatives anti-immigration particulièrement musclées, avant même que Donald Trump ne revienne au pouvoir avec une politique tout aussi radicale.
Le Texas n'accueillera pas de "no-go zones", a ajouté le gouverneur, un terme qui avait notamment été utilisé par des conservateurs américains pour désigner des quartiers de la région parisienne qui, selon eux, échappent aux lois et sont interdits aux non-musulmans.
Un autre républicain, le sénateur John Cornyn a demandé une enquête sur ce projet qui, selon lui, "pourrait violer les droits constitutionnels des Texans juifs et chrétiens".
A Plano, près de la ville de Josephine où le projet est censé voir le jour, Imran Chaudhary, à la tête de l'entreprise qui gère le projet, rejette ces accusations.
"On ne va pas faire venir notre propre police ou nos propres pompiers", ironise le promoteur immobilier de 52 ans d'origine pakistanaise.
- "Déferlement de haine" -
"Ce n'est pas une +no-go zone+. Ce n'est pas réservé aux musulmans. Oui, il y a une mosquée, mais elle est ouverte à tous, comme nos services, notre centre communautaire, notre école, mais aussi l'hôpital et le reste", affirme-t-il.
"On n'a jamais parlé de charia", poursuit l'homme d'affaires, face aux craintes d'autres habitants qui s'inquiètent de voir à leur porte un quartier réservé à une communauté religieuse.
Le Texas fait partie d'une dizaine d'Etats américains ayant adopté des projets de loi "anti-charia", qualifiés d'extrême droite par des ONG.
En pleine polémique, le gouverneur Abbott a déployé les fameux Texas Rangers pour enquêter sur de "possibles activités criminelles" autour de ce projet immobilier.
Le nom du projet, EPIC City, peut prêter à confusion, reconnaît-il, mais il ne s'agit pas d'une ville séparée: c'est un quartier résidentiel qui pourrait être entièrement achevé en 15 ans.
Au-delà de ce projet, la polémique alimentée par les propos du gouverneur ont nourri une certaine animosité envers la communauté musulmane de Plano et ses environs, assure Dan Cogdell, l'avocat d'Imran Chaudhary.
"La désinformation relayée par Abbott est choquante", estime le juriste, dénonçant "le déferlement de haine que ces commentaires ont suscité".
La communauté musulmane de Plano s'est établie il y a deux décennies et compte environ 5.000 habitants.
- "Comme tout le monde" -
Cadre dans le marketing, originaire du Bangladesh, Moitree Rahman espère bien construire sa maison familiale à EPIC City, balayant ce qu'elle considère comme des mensonges. "On a investi en toute confiance", confie cette mère de famille de 38 ans.
Né de parents pakistanais à Houston, plus grande ville du Texas, l'imam Yasir Qadhi raconte que, "lorsque la mosquée a été construite, beaucoup de gens ont commencé à s'installer" à Plano. "L'espace disponible n'était pas suffisant", affirme-t-il.
Le religieux s'inquiète de la montée du racisme et des crimes motivés par la haine, comme l'agression récente de trois adolescentes afghanes dans une école de Houston. Lui-même, dit-il, a été accusé d'être un terroriste: "mais ce sont eux qui nous terrorisent", rétorque-t-il.
"C'est une chose que des comptes anonymes, l'extrême droite, connue pour propager la haine, diffusent leurs mensonges. C'en est une autre que des responsables élus reprennent cette rhétorique mensongère à leur compte", dénonce-t-il.
Pour Fawzia Belal, les musulmans sont "comme toute autre communauté confessionnelle", dans un pays où elles exercent une influence plus importante qu'ailleurs en Occident, comme la France.
"Nous sommes vos fonctionnaires, vos médecins, vos ingénieurs", insiste cette enseignante de 49 ans originaire du Bangladesh. "Nous contribuons à ce grand pays, en essayant de vivre le rêve américain comme tout le monde".
R.Krejci--TPP